Suite à ma victoire dans la route de France 74, Jean est venu chez moi à Bourbon Lancy en Décembre 74 pour me proposer de passer pro dans son équipe 75 ALSAVER JEUNET car Peugeot (ACBB) avec qui j'étais en contrat amateur ne pouvait pas me faire passer pro cette année-là. Cela me posait un vrai problème de choix, soit attendre un an encore chez les amateurs, chose prévue avec mes dirigeants de l'époque, ou aller avec Jean dans une nouvelle équipe avec les risques que cela comportait.
En plus Jean était une personne fort jalousée dans le milieu et ne possédait pas que des amis. Il a fallu un accord du président de la FFC Olivier Dussaix pour que je puisse avoir ma licence suite à de nombreuses négociations, en particulier l'engagement de deux coureurs alors au chômage...
Alors l'aventure commença avec mes 3 copains Perret, Mathis et Gutierriez et une vingtaine de Belges et Hollandais. Après 6 mois Jeunet faisait faillite, et Alsaver disparaissait. Jean fut contraint de trouver un sponsor en 15 jours pour espérer faire le Tour de France, chose faite avec MIKO. Et Antoine Gutierriez pourtant pas un grand escaladeur remporta le Trophée des grimpeurs avec le maillot MIKO DE GRIBADY lors de notre première course, il était quand même verni le Vicomte. Et ainsi l'aventure continua.
Dès ma premièe saison je ne me suis pas trop mal comporté, et je pense que Jean a senti chez moi un réel potentiel et « m'a pris à la bonne ». Il m'a prodigué de bons conseils sur la façon de m'alimenter, il était obsédé par le poids des coureurs, tous les témoignages le montrent, mais avec moi c'était difficile car il me mettait au même régime que les collègues qui avaient besoin de perdre du poids, alors que j'étais très affûté. J'ai connu de nombreuses fringales, surtout lors de regroupement au lycée de Besançon où il nous apportait notre ration quotidienne. Là j'ai craqué, j'ai quitté le stage pour rentrer chez moi, j'étais épuisé.
Il aimait donner des conseils aux jeunes coureurs et leur donner confiance, il avait des phrases types tel que : « dans les cols les coureurs vont tellement doucement qu'ils se tombent dessus » ou encore « le Ventoux c'est un faux plat » et combien d'autres !
Ma première grande victoire : Paris Nice 76 à 22 ans et demi. Avant l'épreuve finale la montée du col d'Eze contre la montre, nous étions 4 vainqueurs possibles : Maertens - Kuiper- Ocana et moi, l'illustre inconnu à ce niveau. Alors bien sûr Jean a exigé de ma part une concentration extrême entre l'épreuve en ligne du matin et ce CLM. Il m'a prié de ne pas sortir de ma chambre et m'y a fait apporter à manger. Seul mon kiné avait le droit de rentrer. Il m'a ainsi fait monter la pression, et j'avoue n'avoir plus jamais ressenti une telle pression positive avant un CLM. Et la victoire fût au bout, à la surprise générale.
Jean nous a aussi souvent emmenés sur les courses dans des petits avions, nous partions de Dole pour aller à l'étranger. Je n'en garde pas que des bons souvenirs ! Les orages dans ces petits avions, cela fait peur !
Il avait aussi une sainte horreur des médecins qui pouvaient graviter autour des coureurs, et c'était un homme farouchement opposé au dopage. Pour lui, la GERMALYNE dans la soupe suffisait.
Je garde de lui un très bon souvenir car il m'a permis de m'exprimer très tôt au plus haut niveau, avec des mméthodes simples et de bonne logique. Avec des moyens financiers certes modestes, mais il vaut mieux commencer sa carrière comme cela que la terminer. Cela m'a permis de continuer ma progression et de rejoindre la grande équipe PEUGEOT ou j'ai passé une grande partie de ma carrière.