Bertrand Duboux 6 Novembre 2006
J'ai connu Jean au début des années 70 alors que j'entamais ma carrière de journaliste. D'abord dans la presse écrite, à l'occasion du Tour de Romandie, puis dès 1978 à la Télévision suisse romande. Il dirigeait de petites formations dans lesquelles évoluaient des coureurs suisses. Souvent des laissés pour compte qui ne trouvaient pas place dans les équipes réputées et qu'il embauchait, certes à bas prix, mais à qui il donnait l'occasion ou l'espoir de faire carrière chez les professionnels.

Immédiatement le courant a très bien passé entre lui et moi. J'aimais son côté un peu marginal qui défiait le pouvoir en place. Il avait pas mal de réussite avec les Agostinho, Tinazzi, Beucherie, Bittinger, Leclercq, Rooks puis Kelly sa dernière trouvaille ! Mais surtout il avait une autorité© naturelle qui lui permettait de "régner" sur ses troupes sans jamais élever la voix. Tout était dans ses convictions profondes, ses propos pertinents qui portaient mieux que de longs discours ou de savantes théories.

Jean était respecté car il n'imposait rien. Il mettait le coureur face à ses responsabilités, face à son destin, tout en privilégiant l'esprit d'équipe et la solidarité. C'est ce que j'aimais car ça chahutait, ça rigolait dans les rangs autour de Sean Kelly. Mais quand il fallait retrousser les manches, tous jouaient le jeu pour faire gagner l’irlandais. Il y avait l'amusement et le travail, dans la joie et la bonne humeur et je peux vous dire qu'à l'époque le cyclisme professionnel était moins triste qu'actuellement...

Jean ne voulait pas de médecin attitré, pas de bus géant ni de tous ces intermédiaires, ces managers qui gravitent désormais dans le milieu et pourrissent la mentalité des coureurs. C'est lui qui gérait tout, à la fois patron et directeur sportif. Il mettait déjà en garde contre la dérive du dopage et se voulait un précurseur dans ce domaine. Halas, beaucoup de journalistes ne le prenaient pas au sérieux, jetaient le doute sur sa réussite et celle de ses coureurs. Mais c'était tout le contraire et j'ai souvent eu de vives discussions avec certains confrères, répurés, qui ne voulaient pas admettre qu'ils se trompaient quant à l'image qu'ils avaient de Jean.

Même les journalistes suisses ne le considéraient pas comme ils auraient dû». Et pourtant il a fait passer de nombreux Helvètes chez les pros, ne serait-ce que le talentueux Jean-Marie Grezet (Sem-France-Loire) au début des années 80, puis Pascal Richard (KAS) en 1986 ! Deux coureurs qui avaient la classe et de grandes qualités et sur ce plan-là il ne s'est pas trompé, même si Grezet, pour des raisons personnelles, n'a pas fait la carrière qui s’offrait à lui».

Aujourd'hui, Jean aurait perdu ses repères. Il ne s'y retrouverait pas dans ce cyclisme dit moderne mais surtout tombé aux mains des médecins et des managers, de personnages véreux et opportunistes, d'affairistes de tous bords et de responsables du marketing qui font croire que le vélo n'est plus qu'une question d'argent. Grave erreur, et le cyclisme le paie cher en ce moment ! Pauvre Jean.


N.B : Bertrand Duboux est écrivain, journaliste, commentateur à la Télévision Suisse Romande. A lire son remarquable ouvrage "Carnets de route. Tours et détours" (Editions Slatkine -2003) auquel a collaboré son complice Roger Pingeon. Y figure un très bel hommage à Jean.





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