Le temps passe à toute vitesse, bientôt 20 ans que Jean nous a quittés mais je garderai à vie mes années sous sa coupe.
Fin 1978, je dispute le Tour de l'Avenir au sein d'une des trois équipes de France engagées. Mes résultats sont bons et grâce à Christian Rumeau, qui a été au côté de Jean pendant de nombreuses années, me voilà avec un contrat de coureur professionnel pour 1979 au sein de la Flandria.
1979 : début de saison en fanfare car je suis très motivé. Jean de Gribaldy n'avait pas encore reçu tous les vélos, alors je dispute toutes les premières courses avec le vélo que j'utilisais en amateur ! Et je gagne l'Etoile de Bessèges au nez et à la barbe des grosses équipes du moment comme Renault, Peugeot, Mercier. Jean de Gribaldy adorait qu'un de ces coureurs gagnent devant les grosses équipes.
1980 : Puch. Une année difficile sur tous les points et avec du recul des regrets. Le tandem Jean de Gribaldy - Rudi Altig n'a pas bien fonctionné. Des conflits en permanence entre les deux hommes, viscéralement opposés sur tous les sujets, ont divisé l’équipe en deux clans. Le clan de Jean de Gribaldy-Agosthino d'un côté et le clan Rudi Altig-Thurau de l'autre et moi au beau milieu qui ne marchait pas ! Bonjour l'ambiance. Pour l'anecdote nous étions onze pour dix places au départ du Tour de France à Francfort, et c'est le malheureux Charly Bérard qui fit les frais de cette situation. Une année de galère et enfin de saison le sponsor qui se retire et me voilà sans contrat pour 1981.
1981 : création de l'équipe Sem -France Loire mais sans moi au début. Après février et mars à courir seul les épreuves (car sans équipe), mais à cette époque nous pouvions nous engager individuellement sur les courses d'un jour. Ma dernière chance fut le Grand Prix de Cholet où seul j’ai quand même fini avec le petit groupe de tête. Aucun coureur de Chez Sem à l'avant ce jour-là provoqua la colère de Jean de Gribaldy. Du coup il me fit signer un nouveau contrat et j'ai disputé toutes les belles courses par la suite.
A la vue de mes résultats, j'ai été approché en septembre 1981 par le directeur sportif de Mercier, Jean-Pierre Danguillaume pour que je rejoigne sa formation pour les années 1982 et 1983. Ayant aussitôt informé Jean de Gribaldy de cette proposition alléchante (salaire doublé), il me demanda de bien réfléchir tout en me faisant culpabiliser. J'avais déjà 30 ans et comme Jean de Gribaldy ne voulait pas ou ne pouvait pas me proposer l'équivalent je décidai de quitter celui qui m'avait donné ma chance fin 1978. Dans le Tour de France 1982, alors que j'étais seul en tte en direction de Nancy, c'est Jean de Gribaldy qui donna l'ordre à ses coureurs de Sem-France Loire de rouler derrière moi alors que Hinault (maillot jaune) et ses équipiers n'avaient pas l'intention de rouler. Ce fut une manière pour Jean de Gribaldy de me faire payer cash mon départ ! Jean ne supportait pas qu'un coureur ne se consacre pas à 150 % au cyclisme. Quand un de ses coureurs marchait, Jean était capable de petites folies financières pour ce coureur (ex. avion privé pour aller ou revenir d'une course ou pour aller chercher un vélo léger etc...). Dans le cas contraire le coureur avait droit au voyage par le train en seconde classe et un vélo monté avec des vieilles roues et des boyaux usés... pour la course !
Je dirais que Jean était à l'opposé de tous les autres directeurs sportifs, grâce à lui j'ai pu enfin devenir professionnel à 27 ans. Lui seul acceptait ce style de challenge. Pour moi et tant d'autres Jean de Gribaldy a été un dénicheur mais également celui qui donnait une deuxième chance à ceux qui devaient relancer une carrière, voir une troisième chance à ceux qui avait démontré des qualités de sprinter, grimpeur ou de rouleur contre la montre mais en mal pour trouver une équipe (Jean adorait les chronos et les coureurs qui s'imposaient dans cette discipline.) Je ne peux passer sous silence le fait que Jean faisait une fixation avec le poids, aussi bien avec les vélos qu’avec les coureurs (malheur à ceux qui se laissaient aller à table). Jean ne supportait pas beaucoup les conflits et quand il y en avait un au sein de l'équipe il avait tendance à disparaitre laissant les autres gérer le problème.
Jean avait compris qu'avec ses budgets toujours très inférieurs aux plus grands il devait tout surveiller afin d'éviter tout gaspillage. Il avait certainement le meilleur rapport investissement /résultat. Avec lui il ne fallait jamais attaquer mais suivre les meilleurs ! La tactique était très simple. Dans les restaurants, Jean allait lui-même établir les menus avec le chef, au cas où ce dernier nous concocte une spécialité ! Un jour, en fin de repas arrive une salade de fruits préparée à l'avance. Il a demandé au serveur de retourner à la cuisine et de la remplacer par des fruits en conserve !
Voilà un résumé de quelques souvenirs, mais il y en a tellement.