Ma première rencontre avec Jean de GRIBALDY date de 1963 : c'était dans son magasin, o๠jeune cadet, j'étais venu choisir mon premier vélo. Bien qu'un peu impressionné, j'ai trouvé l'homme simple et très sympathique.
En 1966, junior, j'ai rejoint sur ses conseils l'Amicale Cycliste Bisontine, dirigée par Monsieur André SELTIER, président, et par le Commandant Raymond VUILLEMIN, vice-président.
Fin février, grâce à Jean, nous avons pu aller en stage quelques jours sur la Côte d'Azur, à Saint-Aygulf. Il y avait là deux excellents coureurs hors catégorie. Louis NICOLAS et René GRELIN, mes regrettés amis Gérard ROCHAT et Jacques RAMSTEIN, et moi. Nous avons participé aux deux courses relevées : les grands prix de Nice et de Grasse, et Jean qui avait été satisfait de mon comportement dans ces épreuves l'avait répété à la presse régionale sans m'en parler auparavant, et je fus très surpris de lire tout le bien qu'il pensait de moi.
Cette saison 1966, je remportais 9 victoires, dont celle du "Ballon d'Alsace" contre la montre, et je fus récompensé en obtenant cette année-là l'"oscar" du meilleur cycliste franc-comtois. L'année suivante, sur les conseils de Jean et du Commandant Vuillemin, je devançai l'appel sous les drapeaux et je fus affecté-comme beaucoup de cyclistes- au 19ème Régiment du Génie à Besançon. C'est ainsi que je fis la connaissance de Bernard THEVENET *, qui resta quelques mois avec nous au 19ème RG avant d'obtenir sa mutation pour le Bataillon de Joinville. Le Commandant Vuillemin était officier des sports et nous signait des permissions pour nous entraîner. Jean intervenait pour que nous puissions courir assez souvent et ça marchait.
En 1969 et 1970, j'ai obtenu quelques bons résultats, mais je n'étais pas assez sérieux, je ne m'entraînais pas assez : il m'arrivait même de laisser le vélo dans le coffre de l'auto toute la semaine, sans rouler... Et bien entendu, Jean l'appris : je me souviens mot pour mot du "savon" qu'il me passa à son magasin : "Salut, toi...tiens, viens voir avec moi "...me dit-il en m'invitant à le suivre dans la cuisine qui se trouvait derrière le bar du magasin.
C'était un coin calme et discret qui lui servait aussi de salle de réunion. Et Jean commença, sur un ton très calme :"Dis donc, tu ne t'entraînes pas, tu ne fais pas "le métier"...alors là, tu déconnes car tu as le potentiel !...Dieu de Dieu, ça me met "en pétard", tu gâches ton talent, exploites-le plutôt !...tu sais, les années passent vite et après il sera trop tard " ! Et Jean avait tout à fait raison: j'ai compris, mais...trop tard. En repensant à ses paroles, j'ai le sentiment d'être passé à côté de quelque chose, de ne pas avoir tout donné. Regrets, bien sûr...
Mais Jean pouvait être aussi parfois déroutant : c'était au Tour d'Alsace en 1973 : je gagne la 1ère étape et je finis 2ème au général final derrière Jean-Pierre BOULARD. J'étais plutôt satisfait, car Boulard avait un des plus beaux palmarès amateurs (ex champion de France, ex vainqueur du Tour de l'Avenir). Mais Jean me balança : "Tu sais, tu ne m'épates pas ! Tu marchais mieux lorsque tu étais plus jeune" ! Et vlan ! J'ai reçu cette vérité comme une gifle : c'était Jean et sa franchise.
J'ai arrêté de courir en 1ère catégorie en 1976 et cette année-là j'ai ouvert un petit magasin de cycles à Besançon que j'ai tenu jusqu'en 1985. Je voyais Jean souvent car il venait se ravitailler en produits diététiques chez le commerçant voisin. Il s'arrêtait toujours dire un petit bonjour et donner des nouvelles de son équipe. On se dépannait réciproquement en pièces détachées à l'occasion et nous entretenions des rapports cordiaux.
En 1982, j'ai pris 3 semaines de congés pour suivre le Tour de France avec MAVIC, à l'assistance technique, en compagnie du regretté Maurice JAUD, ex- mécanicien de Jean. On le rencontrait tous les matins avant le départ des étapes et il nous donnait son analyse, ses pronostics qui s'avéraient d'une incroyable justesse. Quelle clairvoyance ! Les instances fédérales de l'époque lui "tiraient la bourre". Jean disait d'eux que ce n'était qu'une "bande de charlots, d'incompétents"... Malgré tout, il trouva quelque fois la parade pour les contrer...et leur faire quelques beaux "pieds de nez" qui l'ont bien amusé (et nous aussi).
On sait ce que Jean a fait pour le cyclisme pro. Je tiens à dire combien il a pu apporter aussi aux jeunes régionaux : aide importante aux clubs en matériel et équipements. Et pour ses coureurs prêts de vélos, déplacements gratuits, récompenses en cas de victoires (boyaux, primes).
J'ai connu un véritable passionné : il aimait ce qu'il faisait et s'en amusait même parfois. Jean était espiègle. Sa bonne humeur était communicative, et quel dynamisme ! Il n'arrêtait pas : toujours sur les routes au volant, et il dormait peu.
Je garderai le souvenir inoubliable d'un grand Monsieur, d'un personnage attachant qui aura marqué très fortement le cyclisme de son empreinte. Merci à toi, Pierre, de faire vivre sa mémoire.
* voir le témoignage de Bernard Thévenet sur le site