Sean Kelly, l'Equipe, Mai 2022
Sean Kelly, c’est un sprinteur d’abord qui, au fil des ans, étoffera son registre pour devenir l’un des coureurs les plus complets de l’histoire. Tout cela par la grâce d’une rencontre : « Si j’ai fait tout cela, si j’ai porté ce maillot jaune, c’est grâce à Jean », lâche-t-il en préambule d’une voix où affleure la nostalgie.

Jean », c’est Jean de Gribaldy, figure iconique du peloton pendant vingt ans, d’abord modeste coureur avant de devenir patron d’équipe et découvreur de talents. Parmi eux, Kelly, fils d’agriculteurs de Waterford, apprenti maçon transformé en terreur outre-Manche. De Gribaldy, donc, surnommé Le Vicomte, a remarqué ce gamin musculeux à la pointe de vitesse irrésistible qui, pour prendre des épaules, est venu s’installer en France, à Metz. Où en six mois, il gagne 18 des 25 courses auxquelles il participe. Mais Kelly refuse de s’engager (« j’étais trop jeune ») et rentre au pays. De Gribaldy est un tenace. Il se rend en Irlande et, après de longues négociations, finit par le convaincre de passer professionnel.




Sean Kelly a 21 ans. Il s’installe avec quatre de ses coéquipiers à Besançon où « Jean avait son magasin, se souvient-il. On y trouvait tout, des vélos, des machines à laver. Il y avait un bar, une petite cuisine et c’est lui qui préparait les repas. Le matin, je m’entrainais, j’allais me changer dans mon petit appartement et je venais manger là, du poulet, un peu de riz et un yaourt. Après, je faisais une heure de sieste et encore une heure et demie sur le vélo. »

Le patron est omniprésent, à la fois « directeur sportif, diététicien, coach, mécanicien ». Dès la signature du contrat, il a prévenu : s’il veut un jour devenir un grand coureur, Kelly doit maigrir. « Tout de suite, il me dit : Tu es trop gros !’’, raconte-t-il. Je me regarde et je dis : « Peut-être « Jean, c’était une légende, il avait quelque chose de spécial, il savait tirer le maximum des gars. J’étais jeune, je débarquais d’Irlande, je ne connaissais rien. Je lui ai fait confiance, il devait être dans le vrai. Ensuite, il me répétait toujours : « Fais attention à la bouffe ! (en français). Quand tu rentres chez toi après la course, ne te relâche pas, sois toujours attentif à ton alimentation ! ‘‘ A la fin de la saison, il m’avait donné des feuilles avec ce que je pouvais manger et ce qui était interdit pour l'hiver. Ces listes, je les ai gardées. »

S’il taraude ainsi son champion, c’est que de Gribaldy a une certitude : Kelly peut, un jour, remporter le Tour de France. « Au début, je ne le croyais pas, avoue ce dernier. J’étais rapide au sprint, je roulais pas trop mal contre-la-montre mais il y avait un problème : la montagne. C’était vraiment un terrain que je détestais, j’étais très vite relégué loin derrière. Pour moi, la réalité, ce que je ressentais dans mon corps, c’est que jamais je ne serais capable d’escalader des grands cols avec les meilleurs, cela me semblait naturellement impossible. Et puis j’ai travaillé, j’ai perdu du poids, j’ai acquis de l’expérience, je suis devenu un meilleur coureur. Et j’ai fini par accepter le fait que, peut-être, j’étais capable de briller sur le Tour. »

Dès les premières pentes de l’Aubisque, il comprend : « Je m’en souviens parfaitement. Il faisait très chaud et on avait à peine attaqué l’ascension que j’ai lâché prise, j’étais dans un très mauvais jour. J’ai entendu la radio dire « Maillot Jaune en difficulté » et j’ai compris que cela allait être long. Un seul gars, Patrick Clerc, est resté avec moi, il m’a attendu toute la journée, je n’avançais pas. Je supportais mal les grosses chaleurs. A ce moment-là, il ne s’agissait plus de défendre un maillot, de se battre pour le podium mais juste de finir cette étape. Cela aurait dû être un moment de bonheur mais je n’ai fait que souffrir, je n’en ai pas profité une minute, un désastre. »

A l’arrivée, il cède un peu plus de dix minutes. Fin de la parenthèse dorée. Il terminera ce Tour au septième rang et remportera son deuxième maillot vert du classement par points. Mais plus jamais il ne retrouvera le frisson du jaune. Une frustration qui continue d’allumer son regard : « Peut-être que pour gagner le Tour, il aurait fallu que je courre moins. Avec Jean, on ne s’arrêtait presque jamais, toute la saison. Un jour, il m’avait dit : « Fais attention aux journalistes, ils vont te faire fatiguer de la tête en te disant que tu en fais trop ! ‘‘ (en français). Mais en même temps, j’aimais toutes les courses et je gagnais partout. »



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