J'ai connu Jean de Gribaldy en 1963. J'étais déjà journaliste et je travaillais pour "Vélo-Journal". J’écrivais également quelques papiers pour le journal "l'Aurore" commandés par Jean Leulliot qui m'avait également recruté pour m'occuper des relations-presse de "Paris-Nice" et de la "Route de France". Passionné d'archives cyclistes, je connaissais déjà la carrière de Jean, 2 éme du championnat de France 1947. Je me souviens que nous avions, à notre première rencontre, à la Polymultipliée en 1963, évoquer cette épreuve qui avait vu le déclassement de Paul Néri considéré comme un sujet italien. "C'est moi, confiait Jean, qui aurait dû être champion de France. Je réplique que, dans le fond, lui non plus ne méritait pas ce titre car il était, lui aussi Italien, avec son titre de noblesse piémontaise...." Et nous avons ri tous les deux. Il avait alors évoqué ses ancêtres : la famille De Broglie et leur château dans l'Eure où¹ se trouvaient les tableaux de tous ses ancêtres. Ce qui, bien plus tard, me permettra cette réflexion macabre :"Fais attention ! Jean. Ils meurent assassinés dans ta famille". Propos consécutifs à la mort par balles de Jean de Broglie, ancien ministre du général de Gaulle.
Jean m'avait, un jour, au départ d'une course littéralement "soufflé". Il était à la fois sponsor, directeur sportif, manager. A plusieurs reprises je vois arriver des coureurs venant retirer leurs dossards. Les uns étaient en rouge et blanc, d'autres en en vert et blanc, d'autres en jaune et blanc. C'était "Tigra-de Gribaldy", Grammont-de Gribaldy", "Wolhauser-de Gribaldy", "Tigra-Motoconfort" (boyaux de Gribaldy). Bref il n'y avait que la griffe "de Gri". Je me suis dit :"Ce Jean c'est quelqu'un", et mon admiration pour lui a grandi à partir de ce jour.
Il aimait les coureurs "à l'ancienne", ceux qui avaient dû batailler ferme pour manger à leur faim, ceux d'extraction modeste qui ne rechignait pas à aller au charbon. Même s'il s'agissait de fortes têtes, Jean les matait et en faisait des hommes. Pour lui, c'était le secret de la réussite. On était dans un creuset et l'on avançait. Comment ne pas aller dans son sens. Il possédait un tel charme, une certaine onction, un parler caressant. On lui aurait donné le bon Dieu sans confession. C'est extraordinaire comme son charme opérait. Il avançait des arguments qui donnaient à réfléchir. Peu après on se disait que c'est lui qui était dans le vrai.
Un jour de 1981, je me trouve au départ de la troisième étape du "Midi-Libre", à Ganges (Hérault). J'aperçois Serge Beucherie qui gonfle son boyau avant. Il courrait pour "Sem-France-Loire". "Comment ça va ?" "Mal. De Gri me fait trop courir. Je n'en peux plus. Je suis cuit. Je veux rentrer chez moi pour me reposer..." Peu après l'envol, je viens comme j'en avais l'habitude faire la conversation avec les directeurs sportifs, à l'arrière de la course, de voiture en voiture. "Salut Jean. Dis-donc, je viens de voir ton Beucherie. Il est "mal". Je pense qu'il n'ira plus très loin. Il court de trop ce garçon !". Jean, calme, comme résolu, après un instant de silence me répond: "Ecoute-moi bien. Si je le laisse rentrer chez lui, il ne s'occupera que de sa femme et là je ne pourrai plus rien en tirer. Il faut qu'il coure toute l'année, à la dure comme les Schotte, les Ockers ou tous ces rudes Flandriens. Il n'y a pas de secret.". Nous nous quittâmes, moi pas convaincu. Quatre jours plus tard, Serge Beucherie devenait champion de France ! Le soir devant un verre de mousseux - le champagne étant trop cher - il rassembla ses coureurs. Ecoutez bien. N'écoutez jamais les journalistes. Surtout l'un d'entre eux : Jean-Paul Ollivier. Ils sont de mauvais conseillers." Mais cela n'altéra jamais nos bonnes relations.