Exploiter
sa notoriété régionale de champion en
exercice puis d'«ex-Tour de France» pour
réussir dans les affaires… Surfer sur ses
succès de chef d’équipe et ceux de ses
champions… Jean de Gribaldy a toujours su mener de pair ses
fonctions au cœur du peloton avec celle de
commerçant à Besançon. Dès
1947 déjà, et alors qu'il est toujours en
activité dans le peloton professionnel, Jean a une double
casquette. Il est coureur et déjà
commerçant à
Besançon. Très tôt, il a
songé à sa reconversion, à
l'après carrière sportive, trop souvent
insuffisamment
préparée, si tant est qu'elle le
fût par le sportif... "On
peut ach'ter en toute confiance,
chez un coureur du Tour de France" proclame
fièrement une
publicité qui parait dans le journal le Comtois du 11
Septembre 1948.
Il travaille en famille,
précieusement
épaulé par son épouse Isabelle, et
entouré de son fils, de ses neveux et nièces, de
sa belle-sœur et de ses beaux-frères. La famille
et le cyclisme, voilà sans aucun doute les deux piliers de
sa vie. Fort de sa notoriété
régionale, il ouvre sa première boutique de
cycles au 35 rue Mégevand en 1947, "Cycles au Tour de
France", puis très vite
une autre, « Au Tour de France » au 26 rue de
Belfort. Leur succéderont la concession Vespa au 22 rue
Gustave Courbet de 1958 à 1964 et le magasin au 18 Place du
Marché en
1954
en lieu et place du Café de la Bourse (après un
bref passage à
l’angle de la rue Luc Breton et de la rue des Granges), un
commerce généraliste où l’on
trouve, déjà, de tout : cycles, mobylettes,
téléviseurs, meubles,
électroménager et même un bar ! Un lieu
atypique, une institution bisontine même, qui appartient
à l'histoire de la ville, et que personne n'a
oublié à Besançon. Ce magasin sera totalement
détruit par un effroyable incendie dans la nuit du 22 au 23
février 1962 dans lequel Robert Babbit, beau-frère de
Jean, perdra la vie. Jean de Gribaldy et sa famille se
relèveront de cette terrible et douloureuse épreuve,
soutenus par la population et de nombreux amis, et le magasin rouvrira
ses portes après un intermède rue Gustave Courbet avec la
concession VESPA devenu un temps le magasin provisoire.
"Là
derrière ce comptoir, Isabelle
de Gribaldy.
Je franchis la porte du magasin avec ma maman, j'avais 14 ans. Ma
mère : "Il me faut une mobylette pour mon fils,
mais j'ai
pas de sous Isabelle". "Prends-la, tu me la paieras en plusieurs fois.
En fonction de tes moyens". Je repartis avec ma mob. Il n'y avait pas
de dossier de crédit, rien. Tout se faisait à la
parole
en ce temps-là Et quand ma mère eut fini le
paiement de
la mob, elle repartit avec une télé à
crédit aussi... et ainsi de suite. Ce qui fait qu'on avait
pas
d'argent, mais on ne manquait de rien" raconte Vincent Martin
(décembre 2012).
Y travaillent des
employés qui sont aussi ses
coureurs. Michel Tissot, Denis Bordener et Christian Poulignot en
amateurs, et
même un futur professionnel, Jacques Decrion. Mais aussi ses
mécaniciens sur les courses : Jacky Bordener,
Antonio Pacheco, Michel Martinez et Max Mongeard. Toute une
époque.
Bien souvent,
les sponsors d'une part de Jean de
Gribaldy
coureur (Mervil, Tigra, Terrot) et plus tard et d'autre part des
équipes
professionnelles du Vicomte étaient aussi les marques
distribuées dans son commerce bisontin : Frimatic
(réfrigérateurs), Hoover
(électroménager), Grammont
(téléviseurs), Skil
(outillage) Motoconfort (deux roues), et naturellement tous les
meilleurs
équipementiers cyclistes : Flandria, Puch, France
Loire, Campagnolo, Jeunet, Reydel, Mavic, Excell... On trouve aussi
chez de Gri de prestigieuses marques de motos et de
vélomoteurs
comme Guillier (Fontenay le Comte), Koehler-Escoffier,
Zündapp,
Terrot, Triumph, Flandria, Vespa, Motoconfort, Monneret,
Motobécane...
Jean,
qui a pourtant beaucoup voyagé, adorait Besançon.
Il
aimait à dire que c'était la plus belle ville du monde,
même
si son emploi du temps surchargé et ses activités
multiples l'en éloignaient trop souvent à son
goût.
Il y
demeurait chemin des Ragots sur la colline de Bregille, nombreuses sont
les célébrités et les coureurs qui y
ont
séjourné et qui en conservent un souvenir
ému.
Dès la fin de
années 40, en 1948
précisément, des documents photographiques
l'attestent
(voir la galerie photos), il crée des équipes
amateurs et
sponsorise des équipes régionales, s'inspirant
beaucoup
de ce qui se fait en Suisse en particulier. Les maillots de Gribaldy
font leur apparition dans les pelotons. Les coureurs appartiennent soit
à l'UCB (Union Cycliste Bisontine, le club local le plus
ancien)
soit
puis tard à l'ACB, l'Avenir Cycliste
Bisontin, créé au milieu des
années 50 et
présidé par Monsieur
Boucquard, boulanger du quartier Battant à
Besançon, avec
les maillots de Gribaldy aux liserés arc-en
ciel aux couleurs des championnats du monde.
Début des
années 50, ainsi que le
rappelle le
journal le Comtois dans son édition du 8 et 9
décembre
1951, une quarantaine de coureurs régionaux portent les
couleurs
Terrot et sont dirigés par Jean de Gribaldy (Urbain, Bulle,
Barrière, Dumas, Ruffieux, François, Billey,
Bouiller,
Tissot, Clotilde) qui tout en continuant à courir dans
l'équipe professionnel du même nom (avec les
locaux Bon et
Deledda) seconde Pierre Dion. Ce sera aussi le cas de Jean
Buchwalter en 1954. En
Novembre 1964, Jean de Gribaldy fonde l’Amicale Cycliste Bisontine,
avec son ami André Seltier. Le club bisontin, comme le
déclarera Jean en 1980, devient "le réservoir de
l'équipe professionnelle, qui ouvrira ses portes aux
meilleurs
de ses éléments".
Il ne cessera jamais
dès lors de sponsoriser les
équipes cyclistes amateurs, l'Amicale bien sûr mais aussi
le VC Dole, le VC de Dijon, l'ASPTT de Besançon avec
Patrick Perret. Mais également le Cyclisme Bragard 52
(Saint-Dizier, siège de
la société MIKO), le VC d'Annemasse (Jacques Michaud), le
club de Varennes-sur-Seine en Seine-et-Marne avec le jeune Patrick
Mauvilly en 1975 ou encore dans les années 70, et jusqu'au
début des années 80 l'Espoir cycliste de Bourbon Lancy
d'un certain Michel Laurent, offrant aux champions en devenir le
meilleur équipement et le matériel le plus performant,
souvent identiques à ceux utilisés au sein
même de ses équipes professionnelles. Toujours, il
conseillera les jeunes coureurs de l'Amicale, ira les voir courir sur
route, sur piste, dans les magnifiques paysages franc-comtois et bien
au-delà lors d'un cyclocross (une discipline dans laquelle il
avait excellé et qu'il appréciait tout
particulièrement) et les mettra en contact avec les coureurs
professionnels, les conviant même à Paris à la
présentation de l'équipe SKIL en février 1983 par
exemple. C’est sous son impulsion que le sport cycliste a
retrouvé sa juste place en Franche-Comté.
Et c’est en
grande partie
grâce à lui, qu’en septembre 1980, y
sont
organisés les Championnats du monde de cyclisme sur piste
(voir la galerie photo). Il
fallait trouver un vélodrome proche de Sallanches, ville
hôte des compétitions sur route. A un membre du
comité d’organisation qui lui demande si il
connaît
un vélodrome pouvant convenir, Jean répond
« Oui, ici à Besançon. Je
m’occupe de
tout ».
Galerie photos ICI.
Depuis 1994, l'une des
rues de
Besançon porte son nom : "la Montée Jean
de Gribaldy", qui vous amènera au fort de Chaudanne et
à son magnifique panorama surplombant la vieille ville.
Chaque année, y est
organisée la course du même nom.
En javier 2014, le
maire de Besançon, Jean-Louis
Fousseret, a inauguré une plaque sur la façade de
l'ancien magasin, à l'occasion du 25e anniversaire de la
disparition de Jean.
« Il
était fier de ce
qu’il avait réussi. Parmi ses
réussites, son magasin à Besançon
ouvert en 1947 à son retour du Tour de France et
qu’il a baptisé : « Au Tour de France
». Sur la vitrine, il y avait une grande photo de lui en
train de passer un relais à Coppi dans la montagne. Elle
m’impressionnait cette photo. Tout Besançon venait
acheter son électroménager chez lui :
réfrigérateurs, machines à laver,
télévisions. Mais il vendait aussi des
vélos, des accordéons et il avait même
une licence pour un bar. Les ouvriers venaient boire un coup
après le boulot ».
Jean-Pierre Douçot - Mars 2006
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