Patrick Hosotte 15 Décembre 2006
Félicitations pour votre initiative, qui permet de mettre en lumière la contribution d'un grand monsieur de l'histoire du cyclisme. Parler du Vicomte fait resurgir une époque du vélo désormais révolue, où il y avait encore de la place pour la poésie ... Le gigantisme, l'ère du numérique avec la gestion de course assistée par oreillette et l'inflation des budgets pour la constitution des équipes n'étaient pas encore nés...

Je pense que nous nous sommes rencontrés pour la première fois sur une course régionale ou sur le vélodrome de Besançon à l'occasion d'un championnat régional courant 1976. Jean aimait bien venir incognito à la rencontre des jeunes talents. J'ai toujours été admiratif des réseaux et antennes qu'il s'était créé dans toutes les régions de France. Il considérait qu'un coureur doué devait très vite rejoindre les pelotons des pros, avant de prendre de mauvaises habitudes et de "s'embourgeoiser"...

Dès que j'ai commencé à me distinguer chez les juniors, il a commencé à suivre mon évolution jusqu'à ma victoire dans Paris Reims en fin de saison 1977, où à 20 ans, j'avais réussi en compagnie de mon frère Jean-Paul à damner le pion aux grosses équipes parisiennes (ACBB etc). De plus il connaissait la fin de parcours cabossé, ayant lui-même brillé dans cette épreuve. Il nous a proposé, dans la foulée, de nous déplacer en avion au Grand Prix de France amateur à Auch. Le lien était fait, le contrat Flandria signé en décembre 1977. L'aventure était lancée...

Je pense qu'il avait le don de transmettre à ses coureurs une assurance et une confiance dès qu'il sentait le moment opportun "aujourd'hui, t'as vu que tu étais aussi fort qu'un tel, demain s'il y a un coup qui part devant toi, tu ne réfléchis pas tu sautes dedans et tu y vas...En ce moment t'es dans les meilleurs du monde !..."

Je me souviens d'un final à Bessèges en février 1980, où j'étais échappé avec le fringant Léo Van Vliet, il monte à ma hauteur hilare et me glisse "Hosotte tu fais comme d'habitude en amateur pour le sprint", j'étais un peu juste dans un mauvais passage (!...), prêt à me relever, je me suis accroché et j'ai fini 2e...

Il avait toujours le mot pour rassurer et dédramatiser les enjeux... Aux championnat de France sur piste à la Cipale à Paris en 1980, après ma demi-finale victorieuse, il vient me voir et me dit, c'est dans la poche, tu tombes sur Bossis en finale, il a la socquette qui s'alourdit, toi tu progresses à chaque tour. J'étais gonflé à bloc et je l'ai battu alors que c'était tout de même un sacré rouleur...et je suis devenu champion de France de poursuite.

Il avait l'obsession de la légèreté, valises, sacs, vélos, roues, coureurs, il pesait tout sans arrêt. Lors des déplacements en voiture, ça lui arrivait de nous arrêter devant une pharmacie pour aller nous peser, le soir il évoquait les fameux 2 kilos de trop et divisait nos rations à table par 2. Si d'aventure le lendemain l'un d'entre nous était devant, il l'encensait en insistant bien sur le fait que le gars en question avait été le seul à bien jouer le jeu !...de ne pas se goinfrer dans la chambre...Son obsession de la diététique nous a tous marqués à vie. Aujourd'hui encore dans les repas de fêtes, il m'arrive d'y repenser. Il disait aux copains "Hosotte, il est gros à l'intérieur". Je n'ai pris que 4 kilos depuis, comparé à mon poids de fin tour de France 1981....Merci à toi donc Jean de m'avoir appris la modération...

Je garderai le souvenir de sa joie de vivre, en voiture il chantonnait ou sifflotait tout le temps, parfois il stoppait pour nous raconter une anecdote sur sa copine la grande Ella Fitzgerald ou sur l'une des vedettes du show-biz de l'époque, qu'il avait rencontrée dans ses tournées parisiennes. Et bien s^r ces histoires nous fascinaient et nous faisaient un peu oublié la rigueur du métier de coureur cycliste.

Je ne peux toutefois occulter la soirée "tribunal" en fin de Paris Nice 1981, où nous avions dû choisir entre le clan Altig et lui, suite à des tensions internes au sein de la direction de l'équipe Puch. Avec mon frère, nous avions beaucoup de mal à nous déterminer, et puis il y avait le grand THURAU...Le tour de table commence, et un à un les coureurs prennent parti pour Altig, arrive notre tour, et probablement impressionnés par le contexte, nous avons choisi (à tort évidemment) le camp Altig. Le lendemain matin à 6h, Jean entre dans la chambre décomposé "vous m'avez trahi...". Ce fut douloureux pour chacun d'entre nous, nous avons compris sur l'instant et dans les jours et mois qui ont suivi l'étendue de notre erreur. Nous étions amateurs la saison suivante... Depuis lors, à chaque fois que je suis confronté à une situation conflictuelle, je réagis par rapport à mes propres convictions et non plus en regard d'un environnement.

Les principes de vie, que nous a inculqués le Vicomte, nous ont incontestablement fait mûrir en tant qu'homme. En cela les trois années passées avec lui nous ont beaucoup apportés pour la suite de notre carrière sportive, qui s'est achevée en 1991 soit 10 après.

De Sean KELLY, je garderai le souvenir d'une capacité incroyable à faire face à toutes les situations et tous les environnements il ne se plaignait jamais. En voiture dans le break Citroën, il faisait parfois les déplacements nocturnes dans le coffre couché sur les sacs... Je l'ai revu il y a 4 ans à St-Etienne, on s'est parlé comme si on s'était quitté la veille. On a passé aussi de bons moments lors de soirées à Besançon dans les quartiers chauds de l'époque, déambulant en collant de laine noir, Santiag et pull Flandria, de vrais délires de gamins insouciants...

Le roi AGO était un vrai seigneur. Je l'ai côtoyé très personnellement à l'occasion d'un séjour à Nouméa en décembre 1980 où nous disputions les 6 jours ensemble, et partagions la même chambre. La journée, plage et visites, le soir épreuves sur la piste, et fin de soirée resto, discussions sur tous sujets et pas seulement sur le vélo, il était très généreux, enthousiaste et très altruiste. Il savait que j'étais célibataire à l'époque et avait beaucoup d'admiratrices partout où il allait... Les recommandations de sa part à quelques jolies filles d'origine portugaise étaient très efficaces, lui restant très sérieux naturellement...Une gentillesse et une humilité sans pareille. Quel compagnon c'était ! Et quelle force il déployait ! Je me souviens d'une partie de chasse, où après avoir tiré une gazelle, il l'a ramena sur les épaules en marchant près de 2 heures en forêt par 30°.

Cette période me paraît très lointaine, cela fait plus de 25 ans mais les souvenirs remontent peu à peu, je pourrais parler des soirées en avion, à l'occasion de déplacements, à la montagne à Combloux, Megève, aux 6 jours de Grenoble, en Belgique, des stages de début de saison en Languedoc-Roussillon... Une belle tranche de vie.

Je crois pour conclure que tous les jeunes l'ayant rencontré ne peuvent qu'être reconnaissants pour la magnifique opportunité de tenter l'aventure et l'expérience chez les pros grâce à Jean. Tous les régionaux francs-comtois ayant montré des prédispositions ont pu en bénéficier à un moment ou à un autre. Longue vie donc au souvenir du Vicomte et bon vent au site dédié à sa mémoire. Compliments encore pour votre initiative.


Les frères Hosotte avec Jean, Besançon, 1980.



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