Michel Vautrot 26 février 2007
"Fasciné par cette figure Bisontine du vélo".


Je n’étais encore pas né lorsque Jean a débuté sa carrière cycliste. J’avais deux ans lorsqu’il participa à son premier Tour de France et sept pour son troisième et dernier. Inutile de dire que je n’ai pas connu le coureur.

Mais j’ai découvert rapidement l’homme qui a marqué son époque à Besançon. Je l’avoue sans fausse honte : j’étais fasciné par ce Monsieur toujours souriant, disponible, convivial et à la voix si douce et calme qui tranchait avec ce que l’on imaginait d’un « forçat de la route ».

Au-delà des exploits que la mémoire enjolivait, cet homme « touche à tout » me faisait rêver par le fait qu’il pilotait lui-même son avion et, suprême respect et admiration de la part du gamin de la campagne que j’étais, il transportait Johnny HALLYDAY, Sylvie VARTAN et beaucoup d’autres vedettes du show-biz ou du vélo.

Je me souviens être passé devant le célèbre magasin de la place du Marché pour tenter de guetter, derrière la vitre, la silhouette de la légende franc comtoise de la bicyclette et avec le secret espoir de voir un des coureurs dont il était directeur sportif. Les télévisions n’entraient encore pas dans tous les foyers et nous ne banalisions encore pas les exploits qui nous faisaient rêver en laissant une grande part à notre imagination.

Responsable amateur de la rubrique sportive du « Télégramme de Franche-Comté » (parallèlement à mes études), je suis donc entré tout naturellement en contact avec celui qui m’impressionnait. Ainsi est née une amitié inespérée avec quelqu'un – c’est la marque des grands- qui ne se prenait ni la tête ni au sérieux mais qui était un passionné vivant à cent à l’heure.

Mais c’est à la radio que je dois l’incroyable scénario qui me hante depuis son accident fatal. En froid avec la station régionale de Radio-France qu’il jugeait peu coopérante à son égard, il refusait de participer à ses émissions. Collaborateur occasionnel dans le cadre de rencontres avec des personnalités de tous les secteurs, Jean de GRIBALDY était un invité naturel. Têtu, il refusa toujours mes appels du pied malgré notre amitié.

A force de le « tanner » (normal entre têtus !), je lui ai sorti en plaisantant l’argument qui devait faire mouche : "Viens dans mon émission, tu es sûr d’être diffusé deux fois car c’est systématique quand un invité décède. Il accepta dans un grand éclat de rire !
Peu de temps après l’incroyable et ultime arrivée d’étape de sa course sur terre s’achevait contre un mur. Je n’oublierai jamais. La nouvelle m’a frappé de plein fouet alors que j’étais passé à Noironte récupérer un collègue arbitre pour aller à un séminaire d’arbitres. La scène qui nous avait rendus incrédules défile souvent dans ma mémoire.
Comme ma boutade sur la rediffusion de notre entretien pour son décès.

Il a été diffusé quatre fois : un record dont il et nous nous serions bien passés. La « mi-temps » normale, celle programmée le jour de sa disparition, pendant les vacances d’été et le premier anniversaire de sa mort.

Tu m’avais, mon bon et cher Jean, souvent invité à suivre une étape du tour avec toi, mais l’occasion ne s’est pas présentée et pour tout dire j’avais peur de suivre, à cause des descentes vertigineuses, une étape de montagne, ce qui te faisait beaucoup rire. Promis-juré : quand j’irai te rejoindre là-haut au paradis des francs-comtois on fera une petite course sur les nuages.

Mais en attendant, je te dédie ta mi-temps pour une cinquième rediffusion. Tu l’as bien mérité et du coup tu restes vivant à nos côtés.

NB : Michel Vautrot est un ancien arbitre international français de football
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La « Mi-temps » de Michel VAUTROT avec Jean de GRIBALDY (16 octobre 1986)

Présenter Jean de Gribaldy serait faire injure à ce bisontin mondialement connu. C’est vrai que la roue a rapidement tourné pour un cycliste qui en connaît un rayon. Dans ce monde où les chemins de la gloire ne vont pas forcément en ligne droite et où l’adversaire à battre n’est pas toujours le compagnon d’échappée, il porte actuellement le dossard n° 64 dans la course des années. Mais la vie du vicomte est un véritable conte qui compte. Etudiant jusqu’à l’âge de 18 ans il se destine au métier d’instituteur qu’il pratiqua à Morteau une semaine seulement. Ce fut son premier abandon et après une année d’horlogerie à Besançon il quitta le tic-tac pour la tactique des pelotons. Après une première échappée pendant la guerre pour distancer au sprint le travail obligatoire, il passe pro en 1945 et dispute trois fois le tour de France en dix ans de présence au plus haut niveau. Pour sa première participation il termine à la 46e place ! Commerçant installé à Besançon depuis 1947, ce directeur sportif rusé fêtera la saison prochaine son quart de siècle à la tête d’une équipe qui change souvent de sponsor, mais jamais de patron !
Jean de GRIBALDY, vous avez des regrets d’avoir quitté l’enseignement au bout d’une semaine ?
JDG : Absolument pas !

Pourquoi l’aviez-vous quitté ?
Je pensais déjà au cyclisme à cette époque-là et c’était pratiquement impossible d’être instituteur et de devenir professionnel. Et au bout d’une semaine d’école à Morteau la décision était prise.

Le cyclisme était un virus pour vous dès le départ ?
Oui, depuis l’âge de neuf ans, quand j’ai vu passer le tour de France à Morteau, et ma décision fut tout de suite prise.

Vous avez été dix ans professionnel : avez-vous des regrets d’être venu au monde trop jeune quand vous voyez le maintenant le côté médiatique du cyclisme ?
Non pas du tout. J’ai réussi à côtoyer les plus grands comme BARTALI, BOBET, COPPI. J’ai couru avec les plus grands cyclistes de tous les temps et cela m’a suffi amplement.

Ils gagnaient autant que les coureurs actuels ?
Beaucoup moins : cela n’avait aucune comparaison, mais il faut dire que tout était moins cher avant et peut être qu’à la sortie c’était pareil.

Etaient-ils aussi heureux ?
Plus. On sortait de la période de guerre et tout le monde appréciait tout à sa juste valeur. Les coureurs n’apprécient même plus les fortes sommes qu’ils reçoivent. Les résultats n’ont même plus l’air de les impressionner ni de leur faire plaisir. Ce n’est plus du tout le même monde qu’à cette époque.

On parle beaucoup d’argent dans les sports professionnels, cela vous choque-t-il ?
Non pas du tout : c’est devenu la mode et pour les grands champions je trouve que c’est normal.

Y compris pour le football qui commence à véhiculer des sommes énormes ?
Oui puisque les vedettes attirent le monde et font la recette. C’est normal qu’on les paie beaucoup, mais actuellement je pense qu’il y a une escalade dans le foot, le cyclisme ou le tennis. Mais on a atteint de sommets et je pense que cela devrait régresser.

C’est plus dur d’êre cycliste que footballeur ou l’inverse ?
On ne peut même pas comparer.

Les sommes que gagnent les cyclistes ne sont-elles pas trop inférieures par rapport à celles perçues par les footballeurs ?
Oui, mais aussi par rapport aux tennismen et aux joueurs de golf.

Vous avez été suspendu à vie en 1943 et pourtant vous avez continué à courir ?
Oui avec interdiction de faire partie d’une quelconque fédération de quelque sport que ce soit, et ce par les dirigeants de cette époque de collaboration ! Je peux vous dire qu’avec un seul jambon de Morteau tout s’est arrangé. Et je suis toujours dans le cyclisme et même dans d’autres sports.

Alors, Jean, la corruption, cela existe ?
Cela existait.

Et maintenant ?
Peut-être encore...

Le cyclisme c'est une mafia ?
Tout est une mafia partout, dans tout, dans la vie, dans les sports cela existait.

Donc c’est une bonne mafia ?
Non, une mafia n’est pas toujours bonne, mais puisque l’on est obligé de faire avec. L’Amérique fait avec la mafia et dans tous les sports il y a des petites mafias.

Durant le dernier tour de France vous avez empêché vos coureurs de téléphoner... Vous êtes un directeur sportif tyrannique ?
Non, pas du tout ! Entre téléphoner deux/trois minutes et deux trois heures, il fallait empêcher cela. Et je suis certain que Joël PELIER me dira un jour aussi "vous aviez raison de m’empêcher ce que j’aurais pu faire » !

Il faut être beaucoup concentré pour pratiquer le cyclisme ?
Oui. Quand on arrive au sommet dans le tour de France - la plus grande épreuve au monde- on ne peut pas se permettre la moindre incartade qui vous mette hors course.

On parle beaucoup de vous dans le monde entier, en Europe, dans les médias nationaux à l’occasion des grandes compétitions, mais on a l’impression que « chez nous » vous êtes connu de réputation, et on parle plus de votre équipe pro maintenant qu’elle disparaît. Pourquoi ?
Justement, depuis 20 ans je suis en bagarre (sympathique) avec certains journalistes à qui j’ai dit « Si vous ne parlez pas du tout de mon équipe, je verrai mourir votre équipe de foot à Besançon. Et cela vient d’arriver cette année.
Vous êtes content ?
Pas du tout. Mais si certains avaient joué le jeu avec moi comme ils ont écrit une quarantaine d’annés sur l’équipe de foot, je pense que j’aurais aujourd’hui l’équipe de foot et de cyclisme comme mon ami Bernard TAPIE...

Vous n’auriez pas pu venir en aide au RCFC quand vous avez appris que cette équipe pro allait disparaitre ?
Je pense que j’aurais pu, mais c’est toujours en raison de ma petite guerre avec la presse qui m’a oublié régulièrement depuis près de 25 ans, c’est à dire depuis que j’ai une équipe professionnelle. On m’ignore totalement. Quand KELLY a gagné son premier Paris-Roubaix, j’ai vu des dames venir au magasin me dire : « ce n’est pas possible il existe une équipe à Besançon ? Et personne ne le savait à part les mordus de la petite reine.

Justement, vos coureurs cyclistes on les voit très peu à Besançon. Mais alors pourquoi n’organisez-vous pas des critériums pour mieux les faire connaître et attirer du monde au stade ?
Autrefois j’organisais les six jours de Bourgogne-Franche Comté, mais j’avais tellement de difficultés avec la ville de Besançon qui m’a toujours refusé le circuit de la cavalcade, qu’un jour j’ai baissé les bras et j’ai abandonné.

A vous entendre on a l’impression que tout le monde vous en veut, pourquoi ?
Pas tout le monde, mais on n’a pas que des amis C’est normal, c’est la vie. Je suis jalousé à cause de ma réussite, mais on n’y peut rien.

Beaucoup de vos coureurs vont vous quitter.
Les coureurs qui me quittent n'ont pratiquement rien gagné. Gênés et vexés ils préfèrent aller voir ailleurs et cela je ne peux pas l'empêcher, mais comme mes français me quittent je vais également quitter le cyclisme français, je vais devenir groupe espagnol et comme cela je n'aurais plus ces soucis là, avec mes coureurs français et surtout avec mes régionaux !

Alors, si je puis dire, vous vous cassez ?
Je me casse en Espagne.

Vous ne voulez plus entendre parler du cyclisme français ?
Je sens que cela ne va pas, j'ai fait déclarer pendant vingt années mes groupes en Suisse ou en Belgique et cela allait parfaitement bien. Je suis revenu en France depuis environ cinq ans mais j’ai rencontré beaucoup de problèmes avec les coureurs français et aussi avec les commissaires de courses.

Vous en voulez à Joël Pelier : c'était votre enfant prodige, vous l'avez fait connaitre et maintenant il vous quitte ?
Mais cela fait rien, avant de le prendre dans mon équipe je ne le connaissais pas du tout, je l'avais vu une seule fois, et cela n’était pas normal non plus...

S'il a réussi c'est grâce à lui ou grâce vous ?
Il a réussi avec notre équipe, pas par De Gribaldy seul, mais avec l'ensemble de l'équipe. C’est cela qui a fait qu'au bout d'une semaine Ocaña multipliait son salaire par 12.

Pelier s'en va, Patrick Perret aussi, pourquoi justement tous nos meilleurs francs-comtois vous quittent-ils ?
Tous ces coureurs que je prends inconnus de tout le monde, qui arrivent au sommet en l'espace de quelques semaines et toute la presse commence à leur demander : "quand allez-vous partir dans une autre équipe ?" . Bittinger est le seul qui a résisté à 3 années avant de partir dans l'équipe Mercier, où il est « mort » d'ailleurs, tous les autres partent au bout d'une année ou deux ans comme Pelier.

Vous allez quitter le cyclisme français et paradoxalement vous êtes en train de former une seconde équipe, pourquoi ?
Parce que je trouve qu'il y a trop de chômage, 25 chômeurs en France c'est trop.

Mais il y a quand même une certaine incohérence dans la mesure où vous dites : « je pars car je ne veux plus entendre parler du cyclisme français.
Mais non, cette équipe ne sera pas la mienne.

Vous n’avez pas un intérêt personnel ?
Pas du tout.

Vous voulez aider, si j'ai bien compris, Guy Galopin, qui sera le directeur sportif de cette équipe pour Motobécane, le siège sera à quel endroit ?
A Wasquehal dans la banlieue de Lille.

Vous venez en aide à ces 25 chômeurs et ensuite vous dites « au revoir messieurs- dames » ?
Comme je l'ai fait l'an dernier avec Braillon et son équipe RMO et, il y a trois saisons, avec Bernard Tapie. J'ai laissé les affaires à l'un et à l'autre et cela marche bien, ils me téléphonent quand quelque chose ne va pas mais après c'est fini, on devient des adversaires.

Patrick Valet vient de battre le record de l'heure sur piste, record de Franche-Comté et vous m'avez avoué que vous n'étiez pas au courant, c'est normal ?
Je vais vous dire, je ne connais même pas Valet, je ne l'ai jamais vu et effectivement ce n'est pas normal !

Il était à Morteau et j’apprends qu'il part à Lyon
On a toujours vu des coureurs qui pensent aller ailleurs pour trouver mieux mais souvent c'est un échec...

C'est une faille dans votre système ?
Non pas dans le mien, mais je pense que les vieux dirigeants, qui sont mes ex -adversaires sur la route et qui m'en veulent depuis cette époque-là, disent aux jeunes francs comtois, « surtout ne va pas chez lui ». C'est pour cela que je n'ai pas connu Pelier avant qu'il ne devienne professionnel chez moi. Je l'ai vu une fois à la remise d'un prix ce n’était effectivement pas normal. Parce que moi si j'étais débutant coureur cycliste et que je me trouvais dans le même cas, dans ma région, avec un directeur sportif qui fait 25 équipes consécutives, tout de suite je me dirigerai vers lui pour demander conseil, mais là c'est l'inverse, en Franche-Comté on me fuit.

Nul n'est prophète en son pays
Exactement, je vous le répète, je n’ai pas que des amis et c’est bien normal, c’est la vie. Je suis jalousé à cause de ma réussite, mais on n’y peut rien.

Vous avez une vie très active et vous êtes souvent parti de Besançon. Avez-vous une vie privée ou êtes-vous privé de vie ?
Elle est réduite au minimum. Il y a novembre et décembre et puis il faudra repartir. Je passe en gros deux mois par an à Besançon. C’est la raison pour laquelle je n’arrive pas à suivre l’actualité régionale.

Vous téléphonez beaucoup en raison de vos activités et de la nécessité de vos contacts multiples. Vous dépensez combien par mois pour ce poste ?
Entre mes trois téléphones, je pense que j’arrive au million de centimes.

Si vous aviez une couleur préférée ?
Bleu turquoise.

Et pas le jaune du maillot ?
Je parlais d’une couleur, mais pour le maillot bien sûr c’est le jaune que j’aime.

Une fleur ?
Hum !

Pas le bouquet du vainqueur ?
Ah, si ! Mais avec un ensemble de fleurs !

Vous étiez parallèlement pilote d’avion. Pourquoi avoir arrêté ?
J’ai piloté de 1955 à 1975, mais après tout est devenu tellement difficile et compliqué qu’il fallait choisir parce que si j’avais voulu faire pilote, commerçant et directeur sportif, j’aurais mal fait les trois choses, et j’ai donc privilégié les deux dernières activités.

Votre notoriété dans le cyclisme vous-a-t-elle apporté quelque chose sur la place de Besançon ?
N’étant plus ni coureur ni directeur sportif mon magasin serait déjà fermé comme bien d’autres que j’ai connus sur la place.

Le doping, impossible de ne pas en parler...
Il existe partout et pas seulement dans le peloton cycliste.

Peut-on espérer le voir disparaitre ?
Difficilement.

Et dans votre équipe, on le rencontre ?
Non, justement et c’est pour cela que l’on dit que je suis un marginal. Je n’ai pas de docteur ni de charlatans que l’on appelle soigneurs et tout cela en dérange beaucoup.

On dit effectivement qu’il n’y a pas de suivi médical dans votre équipe
Pourquoi suivre les gens bien portants ? Quand ils sont malades, le docteur intervient, mais s’il le fait avec les bien portants c’est là que le courant ne marche plus.

Si vous deviez allez sur une île déserte, qu’emporteriez-vous ?
Je ne pourrais pas aller sur une île déserte. Je n’aurais pas peur, mais ne pas trouver le journal le matin et sans télévision, je ne supporterais pas.

Et un vélo ?
Bien sûr !


Des extraits de cette interview ont été repris dans le livre « Mi-Temps » (Editions « Les Presses du Belvédère » publié en 2006 dans le cadre du 20e anniversaire de Radio France Besançon.
















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